L’histoire du concept biologique du Stress – Le stress piment de la vie

Hans Selye (26 janvier 1907 – 16 octobre 1982)

Texte de François-Joachim BEER* (* Communication présentée à la séance du 22 janvier 1977 de la Société française d’Histoire de la Médecine.)

Le créateur du concept biologique du stress est le Pr. Hans Selye 

qui habitait au Canada, à Montréal. Ce concept lui est apparu il y a plus de 50 ans, alors qu’il commençait ses études médicales, ou plutôt ses stages cliniques. Il avait 18 ou 19 ans. Natif de Vienne, où son père, le Dr Hugo Selye, d’origine hongroise, était médecin de bataillon dans un régiment de hussards. C’est à Vienne que son père fit la connaissance de sa mère, Maria Félicitas, qui était Autrichienne. L’enfant issu de ce ménage était Hans Selye. La mère parlant allemand et le père insistant pour que le fils apprenne le hongrois, l’enfant ayant été élevé par une gouvernante anglaise, puis par une gouvernante française, le futur savant usait familièrement de plusieurs langues étrangères. 

Ainsi, Hans Selye fit ses premières classes à Komaron, la ville où ses parents vécurent après la fin de la guerre 1914-1918, et il étudia la médecine à Prague, où il dut parler non seulement l’allemand, mais aussi le tchèque. Au milieu de ses études, Hans Selye passa un an à Paris et un an à Rome ; enfin il retourna, en 1927, à Prague. C’est là qu’il fut l’assistant du Pr. Arthur Biedl, qui enseignait la pathologie expérimentale. C’est à Prague que Hans Selye fut reçu docteur en médecine, en 1929, et deux ans après, docteur ès sciences, en chimie organique. En 1931, il partit pour Baltimore comme «research fellow» de la Fondation Rockefeller, à Johns Hopkings University, et en 1932, il se rendit à Montréal, au Canada, à l‘Université Mc Gill, son havre définitif. 

L'inventeur du concept du SGA ou Syndrom Général d'Adaptation

Portrait du Professeur Hans Selye

Pendant sa vie Hans Selye pouvait se risquer à donner des conférences en dix langues différentes, mais il écrivait ses livres seulement en anglais. Il connaît le français suffisamment pour enseigner dans une université du Canada français. Chez lui, à la maison, il parle français. D’ailleurs sa femme, Gabrielle Grant, qu’il épousa en 1949 et qui lui donna quatre enfants, est d’origine francophone. 

Hans Selye était encore étudiant lorsqu’il eut l’idée du « syndrome de l’état de maladie ». Il venait de terminer les disciplines de base, l’anatomie, la physiologie, la biochimie, etc., ce qu’on appelait dans les facultés d’Europe centrale, les semestres pré cliniques, et il grillait d’impatience de se trouver enfin au contact avec des malades. Assistant au cours du Pr. von Jaksch, chargé d’enseigner les principes du diagnostic, Hans Selye remarqua que les malades présentés étaient tous atteints de maladies infectieuses dans leur premier stade. 

Le professeur interrogeait et examinait chaque malade, et, pour découvrir les origines de l’affection, recherchait surtout les signes spécifiques. Selye, lui, trouvait chez chaque malade pratiquement les mêmes symptômes : une langue chargée, des troubles gastro-intestinaux, des douleurs articulaires, rougeur de la gorge, éruption cutanée, fièvre, etc., ces symptômes que le professeur négligeait, car il ne cherchait que ce qu’il « savait » devoir trouver, alors que le jeune Selye, qui regardait les malades avec des yeux neufs, s’en tenait à ce qu’il « voyait », et ce qu’il voyait, ce furent des symptômes que présentent la plupart des malades. Selye appella le syndrome découvert par lui, « syndrome de l’état de maladie » — en allemand : « Das Syndrom des einfach Krankseins ». 

Comme le Pr. Selye me l’a dit, lors de son séjour à Paris, au mois d’avril 1975, c’est parce qu’il était tout jeune, parce qu’il ignorait tout de la médecine, qu’il a pu être frappé par tels aspects inconnus. Il est vrai que c’est à l’âge de 17 ans, en 1924, qu’il fut inscrit à la Faculté de médecine de Prague, par protection, car son père connaissait le doyen de la Faculté du temps où celui-ci était son subordonné dans l’armée autrichienne. S’il avait été plus âgé, plus expérimenté, les faits observés lui auraient échappé. Jeune qu’il était, dans sa témérité, Hans Selye se voyait déjà se lançant dans la recherche. Il voulut demander à son professeur de physiologie une place dans son laboratoire pour étudier « le Syndrome général de l’état de maladie ». Mais , comme  il  lui  fallait d’abord  étudier  les  matières  du  programme , passer les examens, et comme il n’avait aucune idée comment s’attaquer au travail sur ce syndrome qu’il était finalement seul à deviner, il laissa tout tomber, pour se consacrer à ses études cliniques, aux problèmes de diagnostic et de thérapeutique, sans s’égarer dans d’obscures hypothèses. 

Arrêtons-nous sur les constatations de Hans Selye faites en 1926, donc quand il étudiait à Prague. L’observation première est celle des malades souffrant de différentes maladies, et qui tous présentent le « Syndrome du simple état de maladie », c’est-à-dire un syndrome multivalent apparaissant dans n’importe quelle maladie. Ce qui préoccupait Selye, ce fut de découvrir comment on tombe malade. 

Dix ans après, en 1936, Hans Selye travaillait à Montréal, en qualité d’assistant dans le service de biochimie, sur les hormones sexuelles. Il devait injecter à des rats différents extraits ovariens et placentaires, et rechercher les éventuelles modifications provoquées par des hormones sexuelles connues à l’époque (1935). Il constata la fameuse triade : 

1) hypertrophie du cortex surrénalien; 

2) atrophie du thymus, de la rate, des ganglions lymphatiques et d’autres agrégats lymphatiques en général; 

3) saignements et ulcères de l’estomac et du duodénum. 

Selye découvrit alors que cette triade de modifications forme un syndrome bien défini,

puisque ces modifications étaient étroitement liées, puisque les modifications étaient proportionnelles à la quantité d’extraits tissulaires injectés, enfin qu’aucun des divers extraits expérimentés ne provoquait un changement isolé. Aussi, Selye en a conclu que les extraits injectés devaient contenir une substance active et il pensait qu’il ne pouvait s’agir que d’une hormone ovarienne. Comme à l’époque, on ne connaissait aucune hormone susceptible de provoquer la triade de symptômes observée, Selye a pu espérer avoir découvert une nouvelle hormone ovarienne! Il n’avait que 28 ans et l’on imagine son euphorie. Mais il a dû vite déchanter, car la même triade se produisait non pas seulement après injection d’extraits ovariens, mais aussi d’extraits placentaires, puis d’extraits hypophysaires, enfin d’extraits du rein, de la rate et de bien d’autres organes. Par contre, toute tentative de purification des extraits à injecter, se soldait par une diminution de leur efficacité. Selye perdait confiance et un jour il se demanda si ce syndrome n’était pas tout simplement dû à la toxicité de ses extraits insuffisamment purifiés, et donc nocifs ? Il fit alors un essai avec du formol qui se trouvait sur son bureau, et 48 heures plus tard, il nota la même triade de symptômes, mais encore plus prononcée. 

interprétation subjective du stimulus

L’interprétation subjective du Stimulus dans le Syndrome Général d’Adaptation

Cette déception le plongea pendant plusieurs jours dans une profonde dépression, mais il eut le courage de s’avouer son erreur. Une fois admise sa défaite, Selye s’est ressaisi. Cette mésaventure et la période de réflexion qui suivit, lui permirent de s’engager dans de nouvelles voies, ce qui le conduisit vers ses vraies découvertes. Il se rappela ses observations de 1924, sur le « Syndrome simple de l’état de maladie », où il retrouvait l’équivalent de son syndrome expérimental. Il comprit que ses observations du début de ses études médicales, n’étaient pas erronées, au contraire. Et ainsi, il se trouva sur le chemin vers la découverte du S.G.A., du Syndrome Général d’Adaptation. Evidemment il fallait avoir du génie pour se mettre à étudier les effets non spécifiques, accidentels, secondaires, des produits toxiques spécifiques. Ses meilleurs amis, doutant de lui, voulaient le ramener sur le bon chemin, le décider à abandonner ce qu’ils appelaient la « pharmacologie de la saleté » (die Pharmakologie des Drecks). En vain ! Selye restait fasciné par les phénomènes qu’il provoquait chez ses animaux d’expériences avec ses préparations toxiques et impures. 

Des encouragements lui sont venus des deux grands savants : Frederick Grant Banting, Prix Nobel de médecine 1923, pour la découverte de l’insuline, et de Walter Bradford Cannon, qui, tous deux, lui ont apporté le secours de leur sympathie. 

Banting était de 16 ans l’aîné de Selye. Il était à l’époque chargé d’inspecter les laboratoires universitaires en tant que membre du Conseil national de la recherche scientifique du Canada. Il venait chez le jeune Selye, dans son petit labo, s’asseyait sur le bord de la table et il l’écoutait avec intérêt exposer ses idées sur le Syndrome de l’état de maladie. D’ailleurs Banting ne se limita pas à le soutenir moralement, et il lui fit accorder sa première subvention pour favoriser ses recherches. 

Quant à Walter Bradfort Cannon, le « père de l’homéostasie », de 36 ans l’aîné de Selye, il apporta au jeune chercheur l’aide la plus précieuse : les critiques qui rassurent le débutant et lui permettent de persévérer. Cannon n’admettait pas le rôle de l’hypophyse et du cortex surrénalien dans le syndrome de Selye. Selon Cannon, « les glandes ne pouvaient contribuer ni à la résistance, ni à l’adaptation en général ». Selye fut stimulé par les objections constructives de Cannon. A cette époque, Cannon — qui avait 55 ans et qui apparaissait à Selye comme le « vieux grand homme » — Cannon, dis-je, avait déjà établi la notion d’homéostasie, il avait déjà montré que l’adrénaline augmente les moyens de faire face à une agression, et aussi qu’en l’absence de surrénales, l’excitation du système sympathique libère la noradrénaline. Les travaux de Cannon ont exercé une grande influence sur Hans Selye. 

C’est le 4 juillet 1936, le jour de l’Indépendance des Etats-Unis, que Selye publia dans le journal «Nature» une note de 74 lignes, qu’il intitula : « Un syndrome provoqué par diverses causes nuisibles » (A Syndrome produced by diverse nocuous Agents) — Selye écrivit « noxious » mais la rédaction remplaça ce mot par « nocuous »). Cette communication est l’acte de naissance du S.G.A., du Syndrome Général d’Adaptation. Selye ne s’y risqua pas encore à employer le mot Stress qu’il emprunta à la physique d’expression anglaise, où l’idée de Stress and Strain relation marque la relation entre charge et tension (en allemand : Belastung und Beanspruchung). 

Dans cette communication, Hans Selye proposa le concept du Syndrome Général d’Adaptation, avec ses trois phases : 

1) la réaction d’alarme, qui cesse avec la disparition de l’agression

2) la phase de résistance, le corps s’adaptant à l’agression qui continue, concentrant contre lui ses réserves, quitte à être moins résistante lors d’une éventuelle agression ultérieure; 

3) la phase d’épuisement, le corps exténué par l’effort d’adaptation, flanchant tout à coup, finit par succomber, m ê m e si l’agression a cessé. 

Il est évident que le S.G.A. n’empêche nullement les syndromes locaux auxquels il s’ajoute. Ainsi par exemple le froid provoque en même temps une manifestation spécifique :le frisson, et le Syndrome d’adaptation qui est une manifestation non spécifique. Il en est de même pour toute agression : microbes, chocs, bruits intenses, etc. 

Dès ses premières observations, Selye a constaté les effets du stress, qui par la suite lui ont appris qu’un grand nombre de maladies, qu’elles soient somatiques, sociologiques ou psychologiques, peuvent avoir pour causes non un agent toxique ou une situation sociale, mais ***  la réaction de l’organisme.  ***

Le Stress une intelligence cybernétique

Le Stress une intelligence cybernétique qui a assuré et assure la survie des espèces

Les défenses de l’organisme ne sont pas toujours bénéfiques.

Par exemple, lorsqu’on injecte une goutte de formaline qui est une solution irritante, l’organisme réagit par l’inflammation. Une barrière de tissu inflammatoire, c’est utile quand il faut localiser le mal. Ceci est le cas, par exemple dans la tuberculose, où il s’agit d’empêcher l’invasion du sang par le bacille de Koch. Chez le rat, les bacilles de la tuberculose humaine sont sans effet. Sa réaction immunitaire tue les bacilles de Koch, qui sont immédiatement encapsulés e t  qui  ne  peuvent pas se propager . Dans ces cas , il n’est pas opportun d ‘ inhiber les défenses naturelles de l’organisme. En administrant de la cortisone, on empêche cette réaction de défense qui, elle, serait utile. Les animaux traités avec cortisone meurent et ceux qui n’ont pas été traités, restent sains. 

Mais pour la formaline, qui est précipitée aussitôt et qui ne produit qu’une petite escarre, ce qui n’est guère dangereux pour l’animal, l’inflam-mation, c’est-à-dire la propre réaction inflammatoire de l’organisme, rend malade tout l’organisme. En effet, sans cette inflammation, la formaline ne tuerait que quelques cellules et elle s’éliminerait en 2 – 3 jours. Donc, contre la formaline, les réactions inflammatoires sont inutiles. Si l’organisme ne se défendait pas, rien n’arriverait. Dans de tels cas, il est bon d’entraver les moyens de défense de l’organisme. 

Hans Selye distingue deux types d’agents : 

1) Ceux qui sont syntoxiques, qui sont les messagers chimiques de la paix. Ils avertissent : ne vous battez pas, ça n’en vaut pas la peine, c’est à vous- m ê m e que vous ferez mal. D’ailleurs, dans la vie quotidienne, nous souffrons moins de ce qui nous arrive, que de la manière dont nous y réagissons. 

2) L’autre groupe, qui a des effets contraires, qui est celui des hormones catatoxiques,— ces hormones sont les messagers de la guerre, elles sont faites pour détruire. La principale action de ces hormones est d’induire dans le foie des enzymes qui détruisent les toxines, comme la nicotine, des substances cancérigènes, des drogues qui peuvent être dangereuses lorsqu’elles sont en quantités excessives.— Les substances catatoxiques augmentent les réactions défensives. Dans ce domaine, les composés synthétiques sont plus actifs que certaines hormones qui ne possèdent que de faibles propriétés destructrices. Le plus puissant de ces composés est un dérivé d’hormone : la prégnénolone-16a-Carbonitrylée (PCN). 

« Le stress est le piment de la vie ».

Le stress est associé à toutes les formes d’activité. On ne peut éviter le stress qu’en s’abstenant de toute activité, en se résignant alors à une vie qui n’a plus aucun intérêt. 

Chaque stress, surtout provenant de frustrations ou d’échecs, laisse des cicatrices chimiques indélébiles, et c’est l’accumulation de ces usures irréparables qui constitue le vieillissement. 

Les activités exaltantes, les activités couronnées de succès, les activités qui rendent heureux, sont le meilleur moyen pour garder jeunes même des gens d’âge très avancé. 

Les deux mots qui ont été proposés par Hans Selye lorsqu’il chercha pour la première fois une définition du mot stress, étaient « usure et claquage ». Ce sont les soucis, les frictions, les revirements, qui sont causes de cette usure et de ce claquage. L’homme a besoin d’harmonie et de succès.

Il supporte mal les critiques et les échecs. Ce dont nous avons besoin c’est d’approbation, c’est d’avoir raison. L’homme a soif d’admiration, avoue le Pr. Selye. 

BIBLIOGRAPHIE 

Texte de François-Joachim BEER

Hans Selye : «From Dream to Discovery»(Mc GrawHill, NewYork,1964). « The Stress of Life » (Mc Graw Hill,New York, 1956). 

André Meyer. — Ce n’est en rien diminuer le mérite de Hans Selye de rappeler que c’est Reilly qui le premier a démontré expérimentalement la réponse univoque, non spécifique à des infections d’origines diverses, et le rôle primordial du système sympathique. Selye lui-même a reconnu l’influence de ce grand et modeste savant dont l’œuvre commençait à être connue quand Selye faisait ses études de médecine à Paris. C’est la modestie de Reilly et son effacement délibéré qui n’a pas permis la diffusion inter- nationale de ses travaux. 

P. Durel. — J’ai travaillé à l’époque du « Syndrome de Reilly » avec le savant trop modeste qu’était mon maître Reilly et je m’associe profondément à la remarque du Pr. A. Meyer. 

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