L’instrumentalisation des enfants majeurs dans les séparations conflictuelles

Une déformation stratégique du récit conjugal

Résumé

Dans le cadre de divorces ou de séparations hautement conflictuelles, certains parents s’appuient sur leurs enfants — même devenus majeurs — pour légitimer leur décision de rupture, souvent au moyen d’un discours tronqué ou orienté. Cette stratégie narrative repose sur une forme d’instrumentalisation affective visant à renforcer un statut de victime, justifier des actes ou des décisions, et renforcer sa position sociale ou morale. Ce processus, souvent subtil, constitue une atteinte à l’autonomie psychique des enfants, une distorsion éthique du lien parental, et peut engendrer des dommages psychologiques profonds.

1. Introduction : divorce et quête de légitimation

PLEURS DU PERE

Le divorce, en tant qu’événement de rupture, s’accompagne rarement d’une neutralité émotionnelle ou narrative. Il oblige les protagonistes à reformuler leur histoire : ce qu’ils ont vécu, pourquoi cela a échoué, et ce qui justifie aujourd’hui leur décision. Dans ce processus, le recours à des figures d’appoint symboliques (témoins, thérapeutes, proches, enfants) devient une ressource pour construire un récit cohérent et valorisant.

Chez certains parents, ce récit s’appuie excessivement — voire exclusivement — sur la présence des enfants, érigés en garants moraux ou en victimes collatérales, dans un discours qui vise à délégitimer l’autre conjoint. Ce procédé, lorsqu’il repose sur des faits partiels, déformés ou sortis de leur contexte, constitue une tronquation de la vérité.

 

2. Les formes de l’instrumentalisation des enfants majeurs

2.1 Le témoignage indirect : “Même mes enfants le savent…”

Il s’agit de la forme la plus fréquente et la plus socialement acceptée. Le parent évoque ses enfants comme des référents moraux, censés avoir confirmé ou partagé son ressenti. Cette invocation, bien que banale, repose sur une présomption de loyauté et sur une pression implicite : un enfant qui contredirait ce récit serait perçu comme “ingrat” ou “manipulé”.

2.2 Le transfert de griefs : “Je ne supportais plus ce que les enfants subissaient”

Dans cette logique, le parent n’exprime plus son propre mal-être, mais celui de ses enfants — souvent interprété ou reconstruit après coup — comme justification majeure du divorce. Ce type de discours nie souvent l’ambivalence naturelle de l’enfant, en le réduisant à un reflet docile de la souffrance parentale.

2.3 L’usage du témoignage direct : “Ils ont vu, ils peuvent témoigner”

Dans les cas les plus extrêmes, notamment lors de divorces judiciaires conflictuels, certains parents encouragent ou sollicitent activement leurs enfants (même majeurs) pour témoigner contre l’autre parent. Ce phénomène est particulièrement problématique, car il instrumentalise une mémoire familiale douloureuse, sans garantir l’objectivité ou la liberté de parole des enfants.

3. Cadres théoriques et enjeux psychologiques

3.1 Le conflit de loyauté et ses effets délétères

Selon la thérapie familiale systémique, l’enfant pris dans un conflit conjugal se retrouve dans une double contrainte : aimer deux personnes qui se déchirent. Lorsque l’un des parents l’invite à prendre parti, ce conflit de loyauté devient pathogène. Même adulte, l’enfant reste lié affectivement à ses parents, et peut se sentir obligé de soutenir le récit dominant.

 

3.2 L’abus psychologique par captation de conscience

Utiliser un enfant pour valider un récit falsifié constitue une forme d’abus psychologique doux, fondé non pas sur la violence, mais sur la captation de la pensée, souvent nourrie par des récits récurrents, émotionnellement chargés. Dans certains cas, l’enfant en vient à intérioriser une vision unilatérale, sans possibilité de recul critique.

3.3 Les conséquences identitaires pour l’enfant adulte

L’enfant devenu adulte confronté à ces tensions peut :

  • Se désengager de l’un des parents, sans en comprendre la cause profonde.

  • Refuser toute relecture critique du passé familial, par fidélité à une version imposée.

  • Ressentir une culpabilité latente ou un ressentiment enfoui, lié à l’impression d’avoir été utilisé sans consentement éclairé.

4. Cadre juridique : enfants majeurs et conflit parental

4.1 Le statut légal des enfants majeurs

D’un point de vue juridique, un enfant majeur est un citoyen autonome, non soumis à l’autorité parentale. Il ne peut pas être partie au conflit conjugal, sauf dans des cas très précis (partage de biens, succession, pension alimentaire…).

Cependant, aucune loi n’empêche un parent d’invoquer ses enfants, ou de solliciter leur témoignage. Cette zone grise juridique laisse place à des dérives affectives, parfois déguisées en quête de justice.

4.2 La notion de manipulation affective dans les tribunaux

ELOIGNEMENT PERE FILS

En droit de la famille, la notion de manipulation affective reste difficile à prouver. Toutefois, certaines décisions de justice reconnaissent que l’aliénation parentale ou l’instrumentalisation d’un enfant majeur constitue une forme de pression psychologique incompatible avec le respect de la personne.

5. Implications éthiques et responsabilités parentales

5.1 Le droit à l’autonomie narrative des enfants

Les enfants, y compris majeurs, ont le droit fondamental à une lecture personnelle, nuancée et évolutive de leur histoire familiale. Leur imposer une lecture orientée constitue une violation symbolique de leur subjectivité.

5.2 La responsabilité parentale post-divorce

Être parent ne s’arrête pas au divorce. La posture éthique du parent exige de ne pas se servir de ses enfants — quel que soit leur âge — comme boucliers moraux, témoins à charge, ou pièces justificatives. Le respect de la complexité du lien et la reconnaissance des erreurs partagées sont les conditions minimales d’une séparation adulte et respectueuse.

6. Recommandations cliniques et préventives

  • Encourager le travail thérapeutique personnel pour désamorcer les blessures projetées sur les enfants.

  • Favoriser les espaces de parole libre pour les enfants, sans imposition d’une vérité familiale.

  • Sensibiliser les juges, médiateurs et avocats à la dimension psychologique des récits parentaux.

  • Créer des outils d’éducation affective post-divorce, pour soutenir la reconstruction des liens sans pression ni désignation de bouc émissaire.

Conclusion

L’utilisation des enfants, même adultes, comme supports narratifs d’un divorce orienté constitue une dérive relationnelle et éthique. Derrière les mots apparemment anodins se cachent parfois des logiques d’emprise, de disqualification, ou de manipulation affective. Préserver la dignité de chacun, y compris celle des enfants devenus adultes, exige de renoncer aux récits simplistes et aux justifications à sens unique. La vérité, dans un couple, est toujours plurielle. Et le respect de cette pluralité est la condition première de la transmission d’un lien sain entre les générations.

Vous aimerez aussi...

You cannot copy content of this page