Hypno-analgésie
Dans le domaine de la neurophysiologie, la majorité des études consacrées à l’hypnose a tout d’abord concerné ses effets sur la douleur et plus spécifiquement sur l’analgésie, c’est-à-dire la réduction de la sensibilité à la douleur.
L’association internationale pour l’étude de la douleur (The International Association for the Study of Pain : IASP) définit celle-ci comme « une expérience subjective sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire potentielle ou réelle, ou décrite en termes évoquant une telle lésion ».
En d’autres termes, est douloureux ce qu’une personne ressent comme tel.
Les approches de la neuro-imagerie fonctionnelle
ont permis de mieux localiser les différentes structures cérébrales impliquées dans la perception de la douleur.
Elles ont mis en évidence le fait que le cerveau traite cette information en activant un réseau en interaction avec différentes régions cérébrales (Faymonville et al. 2007 ; Faymonville, Boly. & Laureys, 2006 ; Faymonville et al. 1998 ; Faymonville et al. 2005 ; Faymonville, Roediger, Del Fiore, Delgueldre, Phillips, Lamy, Luxen, Maquet & Laureys, 2003).
Schématiquement, l’information sensorielle est transmise
par les fibres nerveuses vers la moelle épinière, puis vers le thalamus, puis vers différentes régions du cerveau dont le cortex cingulaire antérieur, l’insula, le cortex somatosensoriel, les noyaux caudés, l’amygdale.
Le thalamus intervient comme une station relais
par laquelle le message douloureux transite vers ces autres zones corticales ou sous-corticales (voir Figure 1.1, p.66). Sur le plan fonctionnel, la composante sensorielle de la douleur, codée au niveau de l’insula et du cortex somatosensoriel, permet d’interpréter la sensation (ça pique, ça pince, ça tire, etc.), sa localisation et son intensité.
La composante émotionnelle de la douleur serait encodée
principalement au niveau du cortex cingulaire antérieur, qui signale l’inconfort (agacement, épuisement…).
La composante cognitivo-comportementale serait traitée
dans les cortex préfrontal et prémoteur, qui permettent d’interpréter la douleur et de modifier le comportement en conséquence.
L’imagerie cérébrale fonctionnelle indique que les suggestions hypnotiques analgésiques interagissent
sélectivement avec les processus impliqués dans la perception de la douleur et viennent corroborer la diminution de la sensation douloureuse rapportée par les participants (voir Lynn & kirsch, 2006).
Les résultats expérimentaux témoignent d’une réelle modification des déterminants physiologiques de la douleur plutôt que d’une erreur d’attribution.
Ces effets sont différents d’une simple distraction, car dans certaines suggestions, le sujet doit porter son attention sur la sensation douloureuse, la réinterpréter ou bien s’en dissocier.
Par exemple, il peut être insinué au sujet dont la main est plongée dans de l’eau chaude normalement douloureuse que « la sensation de chaleur est de plus en plus confortable, qu’il n’y a rien d’autre à ressentir que de la chaleur agréable qui produit un sentiment de bien-être qui se propage rapidement dans la main, le bras, dans tout le corps et dans toute l’expérience. » (Rainville, 2005, p.6).
Ce type de suggestion modifie la sensation et sa signification.
Les travaux de Rainville et Faymonville révèlent que les formulations hypnotiques qui visent spécifiquement l’intensité de la douleur (i.e. le niveau sensoriel), du type : « vous pouvez tourner un bouton imaginaire pour diminuer la force de la sensation », modulent l’activité du cortex somatosensoriel primaire.
En revanche, les suggestions dont l’objectif est d’atténuer le désagrément de la douleur
agissent au niveau du cortex cingulaire antérieur. (i.e. le niveau émotionnel), comme « vous êtes de plus en plus confortable, cette sensation ne vous dérange pas particulièrement »,
Cette région est habituellement associée au système limbique et aux émotions. De plus, elle possède des connexions neuronales importantes avec celles qui produisent les endorphines et qui activent le circuit inhibiteur de la douleur, empêchant ainsi le stimulus douloureux d’activer le réseau cortical impliqué dans la sensation de la souffrance physique.
Par exemple, la réduction du caractère désagréable de la douleur est accompagnée d’une diminution de la stimulation des régions limbiques impliquées dans les aspects affectivo-émotionnels, sans pour autant modifier de façon significative l’activation du cortex somesthésique (Hofbauer, Rainville, Duncan & Bushnell, 2001 ; Rainville et al. 1999 ; 2002).
Ces études montrent que le travail cognitif provoqué par l’analgésie sous hypnose repose sur un mécanisme d’inhibition qui entraîne une dissociation sensorielle et affective de la douleur.
Tout se passe comme si le processus hypnotique bloquait en quelque sorte la communication entre l’activité sous-corticale et corticale, venant ainsi modifier le fonctionnement des composantes affectivo-émotionnelle et sensori-discriminative et provoquer une diminution de la perception subjective de la douleur.
En s’inspirant des travaux de Rainville (Rainville, Duncan, Price, Carrier & Bushnell, 1997), Faymonville, Joris, Lamy, Maquet et Laureys (2005) ont mis en évidence ce phénomène en comparant trois conditions expérimentales :
- (1) situation de repos ;
- (2) situation d’hypnose et
- (3) situation d’imagerie mentale.
Dans les situations d’hypnose et d’imagerie, les participants devaient se remémorer un évènement agréable. Pendant la phase de remémoration, ils testaient en même temps la température d’une sonde thermique placée sous leur main droite. La tâche consistait à indiquer si la température de la sonde était plutôt « chaude et non douloureuse » ou « chaude et douloureuse ».
Cette estimation était réalisée à l’aide d’une échelle verbale, dont les valeurs extrêmes étaient : 0 pour « aucune sensation de picotement et de pincement de chaud, douloureux » ; 10 pour « une sensation insupportable ». Les participants devaient aussi évaluer l’inconfort, c’est-à-dire le désagrément causé par la stimulation, sur une échelle verbale (0 pour « aucun désagrément », 10 pour « un désagrément insupportable »).
Des séances d’entraînement ont permis de les familiariser avec le stimulus douloureux, l’hypnose, l’imagerie mentale et les échelles verbales. Les participants étaient considérés comme hypnotisés si l’oculographe (i.e. l’examen des mouvements oculaires) enregistrait des mouvements oculaires latéraux lents. Ils ne recevaient aucune suggestion concernant une éventuelle modification des sensations douloureuses.
Durant toute l’expérimentation, ils étaient couchés, les yeux fermés, les bruits et la lumière ambiants étaient réduits. Les évaluations subjectives de la sensation douloureuse et du désagrément indiquent que dans la condition d’hypnose, la douleur ressentie est significativement moins élevée que dans les deux autres conditions dont les estimations sont relativement identiques.
Il semble alors que ni la volonté de détourner son attention du stimulus douloureux en imaginant un évènement agréable, ni le repos ne modifient et atténuent la perception douloureuse comme c’est le cas dans la situation hypnotique.
Là encore, il apparaît que la partie moyenne du cortex cingulaire antérieur module différemment son activité en réponse à une stimulation douloureuse quand les sujets sont en hypnose.
Les effets de l’hypnose sur le contrôle de la douleur ont été confrontés à d’autres techniques proposées à des participants en état de veille. Il apparaît que le détournement de l’attention, initialement centrée sur le stimulus douloureux, diminue la sensation subjective de douleur et s’accompagne d’une diminution de l’activité cérébrale dans les régions qui y sont associées.
Dans d’autres situations où la consigne est d’anticiper la venue de chocs électriques douloureux, la réduction de la douleur s’accompagne là encore d’une diminution concomitante de l’activité nerveuse dans des régions associées à la perception et à la sensation de la douleur.
L’influence d’autres facteurs comme l’attention, l’anticipation, les attentes de soulagement inhérents aux mécanismes de l’hypnose renforce l’intérêt d’étudier la répercussion de stratégies psychologiques, comme l’hypnose ou le placebo, sur la modulation des processus de perception de la douleur, tout comme le font les techniques pharmacologiques classiques.
En outre, ce constat conforte l’idée que non seulement des traitements pharmacologiques, mais également des facteurs psychologiques, peuvent réduire la souffrance physique en modifiant ce réseau neuronal complexe impliqué dans l’expérience de la douleur.
Tout bien considéré, les recherches évoquées constatent que l’hypnose s’accompagne de variations du débit sanguin cérébral des régions corticales et sous-corticales traduisant une imagerie multisensorielle (visuelle, motrice, kinesthésique) relativement différente de celle expérimentée à l’état d’éveil.
L’état hypnotique est notamment lié à une prédominance des rythmes thêta avec une sollicitation des aires corticales sensorielles et motrices, des régions occipitales et pariétales et plus particulièrement de la région cingulaire antérieure et du thalamus, ainsi que d’une désactivation du précuneus et du cortex cingulaire postérieur.
Ce dernier joue un rôle critique dans les changements induits par l’hypnose sur les différentes composantes de la douleur.
La partie droite du cingulaire antérieur est aussi impliquée dans les expériences d’hallucinations chez les sujets très hypnotisables.
Les modifications observées laissent supposer que l’attention du sujet est préservée, et ce même si la désactivation du précuneus semble indiquer qu’il est dans un état de conscience modifiée.
Il semble donc que l’activité thêta de l’EEG et le cortex cingulaire antérieur soient deux mécanismes neurophysiologiques importants et particulièrement actifs pendant l’expérience hypnotique.
Selon Rainville et al. (1999), l’activation occipitale reflète vraisemblablement un état de relaxation profonde dans lequel se trouvent les sujets hypnotisés, ainsi qu’une modification de leur vigilance au profit d’une activité d’imagerie plus intense.
Ces données sont fortement intéressantes et peuvent être mises en correspondance avec celles issues de travaux dont le but est de constituer une cartographie des états de conscience.
En effet, les expériences en imagerie cérébrale suggèrent que la perception consciente
s’accompagne d’une augmentation importante de l’activité des aires frontales, préfrontales, cingulaires antérieures et pariétales (Dehaene & Naccache, 2001).
Plus particulièrement, la conscience qui caractérise l’état de veille, comme le fait d’être conscient d’être en relation avec son environnement « ici et maintenant », sollicite principalement le cortex cingulaire et le thalamus. Ce dernier est aussi l’un des principaux sites d’action des substances anesthésiantes.
Enfin, le précuneus et le cortex cingulaire antérieur sont souvent très actifs dans un état de conscience de repos et feraient partie d’un réseau qui rend possible la conscience de soi.
La région du précuneus montre le plus haut taux d’activité nerveuse lorsque le sujet est au repos avec les yeux clos et un rythme alpha sur son EEG, mais aussi lorsqu’il regarde passivement une cible.
À l’inverse, l’activité du précuneus diminue dans des tâches qui ne font pas référence à soi-même.
Or, lorsque le sujet est en hypnose, dans un état de conscience modifiée, on relève aussi une baisse d’activité dans le précunéus.
Cependant, malgré les nombreuses recherches qui ont été réalisées, le phénomène hypnotique ne peut être défini par des signes physiques ou physiologiques caractéristiques.
Les indicateurs du processus hypnotique sont nombreux mais, pris isolément, ils ne sont pas spécifiques à l’hypnose.
Toutefois, les variations neurophysiologiques qui la particularisent sont relativement constantes, quelle que soit la diversité des expériences hypnotiques, et rendent compte de l’existence d’un état particulier différent de l’état de veille normale (Ray, 2007).
La communauté scientifique reconnaît aujourd’hui la réalité de l’hypnose et son action sur la perception de la douleur (voir Benhaiem, 2003).
En effet, les données semblent suffisantes pour accréditer l’idée que l’analgésie sous hypnose existe et qu’elle peut être provoquée chez tout individu.
Ainsi, bien que ses mécanismes d’actions soient encore mal connus, l’hypnose est à considérer comme un moyen thérapeutique digne d’intérêt.
Elle semble aussi constituer un outil de choix pour aborder la question des bases biologiques de la conscience et des relations corps-esprit qui anime les sciences contemporaines (Rossi, 1986 ; 1994 ; Rainville, 2004).